mardi, juillet 09, 2013

Pourquoi la NSA espionne aussi votre papa

 
Les révélations d'Edward Snowden, le "lanceur d'alerte" américain, sur l'ampleur des opérations d'espionnage et de surveillance des télécommunications de la National Security Agency (NSA), ont incité de nombreux journalistes à me demander si cela pouvait aussi concerner des Français. En l'espèce, votre papa, votre maman, vos grands-parents, vos enfants, collègues, amis, tous ceux avec qui vous êtes en contact peuvent effectivement être espionnés, ou l'ont peut-être même déjà été. L'explication figure noir sur blanc dans un rapport top secret de l'inspecteur général de la NSA révélé par le Guardian. Contrairement aux écoutes téléphoniques classiques, ce qui intéresse la NSA, ce n'est pas tant le contenu des télécommunications que leur contenant, ce que l'on appelle des méta-données : qui communique avec qui, quand, d'où, au sujet de quoi, en utilisant quels logiciels, passerelles, fournisseurs d'accès, adresses IP, etc (voir à ce sujet l'excellent et très pédago guide du Guardian, ou encore comment les méta-données d'une photographie a permis de géolocaliser puis d'arrêter John McAfee). L'objectif est en effet de constituer un "graphe social" des personnes et organisations ciblées ("targeted") par la NSA, la CIA et le FBI, en demandant à ses analystes d'effectuer ce qu'elle qualifie de "contact chaining" : « En général, ils analysent les réseaux situés à deux degrés de séparation de la cible. » Autrement dit, la NSA espionne aussi ceux qui communiquent avec ceux qui communiquent avec ceux qui sont espionnés (exemple). La seule limite imposée aux analystes de la NSA est d'"estimer sûr à 51% que l’individu qu’il suit est étranger"... Sont donc espionnables une bonne partie des Américains, et la totalité des non-Américains (cf Qui la NSA peut-elle traquer ? A peu près tout le monde !). Ce qui, en ces temps de Big Data, de fouille sociale de données et (donc) de police prédictive, n'est pas sans inquiéter (voir, à ce sujet, la traduction française du texte de Bruce Schneier : "Ce que nous ne savons pas sur l’espionnage des citoyens est plus effrayant que ce que nous savons"). Moins de 6 degrés de séparation En 1929, le Hongrois Frigyes Karinthy émettait l'hypothèse qu'il n'existerait que six degrés de séparation entre tous les êtres humains. En 1967, le psychologue américain Stanley Milgram avait démontré dans son étude du petit monde la validité de cette théorie en demandant à 296 volontaires d'envoyer une carte postale à un agent de change de Boston qu'ils ne connaissaient pas. En 2011, une étude portant sur les utilisateurs de Facebook révélait que ses utilisateurs ne sont séparés, en moyenne, que de 4,74 degrés -soit moins de 4 personnes. Sur Twitter, il ne serait que de 4,67 degrés. L'homme qui a vu l'homme qui a vu l’ours Votre papa, votre maman, vos grands-parents, vos enfants, collègues, amis n'ont peut-être "rien à se reprocher". Mais ils connaissent très probablement quelqu'un qui connaît quelqu'un qui a été en contact avec Mohamed Merah -ou l'un des 126 terroristes arrêtés en France depuis 2012-, ou encore avec l'un des nombreux employés de l'Union européenne (puisque La NSA espionnait aussi l'Union européenne). D'ordinaire, on tend à considérer que l'homme qui a vu l'homme qui a vu l’ours n'est guère crédible, et que son histoire ne peut que relever du ragot, des ouïe-dires, voire de la rumeur. Pour les services de renseignement, c'est différent. Comme l'expliquait récemment Daniel Martin, l'ancien responsable informatique de la DST, leur objectif est de "tout savoir sur tout, tout le temps", au nom de la "règle des 7T". Le métier des services de renseignement est d'être prudent, voire suspicieux. Le problème, c'est que depuis le 11 septembre 2001, les espions américains sont devenus paranoïaques, au point de vouloir surveiller tout le monde ou presque, comme si nous étions tous des suspects potentiels. En 2001, des chercheurs d'AT&T avaient ainsi théorisé la notion de "culpabilité par association" pour décrire leurs façons d'identifier les n° de téléphone de ceux qui étaient en contact avec les n° de téléphone en contact avec les véritables suspects... A l'époque, j'avais participé à la "Journée de brouillage d'Echelon en codant un petit générateur d'emails subversifs afin de moquer cette façon qu'a la NSA de considérer comme "suspecte" toute personne évoquant des mots-clefs ciblés par les grandes oreilles américaines : Même anonymisées, les méta-données vous trahissent Le problème, comme l'expliquait Julian Sanchez, du Cato Institute, au Guardian, c'est que les méta-données de vos télécommunications, qui ne sont pas considérées comme relevant de votre vie privée par les autorités américaines, révèlent énormément de choses sur vous : « Les appels téléphoniques que vous faites peuvent révèler beaucoup de choses, mais à mesure que nos vies sont de plus en plus médiatisées par l'Internet, nos traces IP dressent comme une carte en temps réel de votre cerveau : ce que vous lisez, ce qui vous intéresse, les publicités ciblées auxquelles vous répondez, les discussions auxquelles vous participez... Surveiller les traces que vous laissez sur l'Internet -d'autant plus en les exploitant au moyen d'outils d'analyse très sophistiqués- est une façon de rentrer dans votre tête qui est à bien des égards comparable au fait de lire votre journal intime. » "Il est temps de parler des métadonnées", écrivaient récemment plusieurs chercheurs qui ont récemment démontré que, même anonymisées, "il suffisait de 4 informations de localisation dans le temps et l’espace (c’est-à-dire connaître 4 antennes d’où un utilisateur s’est connecté pour téléphoner ainsi que la date est l’heure, données qui sont par essence compilées dans les métadonnées de nos appels téléphoniques) pour identifier précisément 95 % des utilisateurs et que 2 informations suffisent à les identifier à 50%". La DGSE est en « 1ère division » Les révélations d'Edward Snowden ne sont pas si nouvelles que cela. En 2009, j'écrivais ainsi que la NSA a accès à toutes les communications des Américains (et surtout celles des journalistes), sachant que l'on savait déjà, depuis la fin des années 90, que la NSA surveillait les télécommunications des non-américains avec son système Echelon. L'exploitation des méta-données ? Les services de renseignement français le font aussi, mais avec moins de moyens, à une plus petite échelle, même si la France dispose de nombreuses stations d'interception des télécommunications (cf Frenchelon: la carte des stations espion du renseignement français). En 2010, le directeur technique de la DGSE expliquait ainsi qu'en matière d'espionnage des télécommunications, la DGSE est en « 1ère division » et que, à l'instar de la NSA, "le contenant devient plus intéressant que le contenu" : « Et toutes ces méta-données, on les stocke, sur des années et des années, et quand on s'intéresse à une adresse IP ou à un n° de tel, on va chercher dans nos bases de données, et on retrouve la liste de ses correspondants, pendant des années, et on arrive à reconstituer tout son réseau. » Pour autant, cela ne veut pas dire que les services de renseignement français espionnent autant de télécommunications que ne le font les services anglo-saxons : Edward Snowden a ainsi révélé que le GCHQ, l'équivalent britannique de la NSA, était capable de traiter 600 millions d'évènements téléphoniques... par jour, ce qui a même eu le don d'énerver certains pontes du renseignement britanniques, qui estiment que cela va trop loin. En attendant, ni votre papa, ni votre maman ni personne d'autre d'ailleurs ne pourra plus dire que puisqu'elle n'a rien à se reprocher, elle n'a rien à cacher (voir aussi ma lettre ouverte à ceux qui n'ont rien à cacher). Ce scandale arrive au pire moment qui soit pour les relations américano-européennes. Les autorités américaines déploient en effet depuis quelques mois la plus vaste campagne de lobbying qu'aient jamais vues les institutions européennes. L'Union a en effet décidé d'adopter un règlement sur la protection des données personnelles qui vise précisément à protéger nos données, ce qui déplaît au plus haut point aux Américains, pour qui ces données sont une mine d'or commerciale (voir Du droit à violer la vie privée des internautes au foyer). La veille des premières révélations d'Edward Snowden, l'UE décidait de repousser les négociations portant sur ce projet de règlement. Elles ne pourront plus se tenir comme avant. Il y aura probablement un avant et un après Snowden, tout comme il y eut un avant et un après Watergate, avec la création de commissions d'enquêtes visant à mieux contrôler les services de renseignement US. En tout état de cause, si vous ne voulez pas que vos données sensibles puissent être espionnées par qui que ce soit (sachant qu'au moins 7 pays européens auraient des accords avec la NSA), je vous renvoie au mode d'emploi que j'avais écrit il y a quelques mois : Comment (ne pas) être (cyber)espionné ? MaJ : rajout de quelques liens pour permettre aux lecteurs de poursuivre leurs lectures. Voir aussi : L’espion qui aurait pu empêcher le 9/11 Comment (ne pas) être (cyber)espionné ? Internet a été créé par des hippies qui prenaient du LSD Du droit à violer la vie privée des internautes au foyer Frenchelon: la carte des stations espion du renseignement français la NSA a accès à toutes les communications des Américains (et surtout celles des journalistes) jean.marc.manach (sur Facebook & Google+) @manhack (sur Twitter) Et pour me contacter, de façon anonyme & sécurisée (#oupas /-), c'est par là. - See more at: http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2013/06/30/pourquoi-la-nsa-espionne-aussi-votre-papa-oupas/#sthash.2qkKXQYa.dpuf
 

jeudi, juillet 04, 2013

Une expérience intéressante pour l'informatique quantique

http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=11821


Des physiciens de l'Université de Sherbrooke ont participé à une expérience qui permettra d'améliorer le circuit qui sera peut-être à la base du futur ordinateur quantique, soit le bus quantique. Un tel bus avait été inventé il y a quelques années par l'équipe du professeur Alexandre Blais pour relier ensemble les composants d'un même ordinateur quantique fabriqués sur un même circuit.

"Cette fois-ci, il sera possible de faire interagir plusieurs bus quantiques entre eux, tout en préservant l'information sous forme quantique afin de développer l'architecture de cet ordinateur révolutionnaire", dit le chercheur.

Communication quantique envisageable

L'expérience concluante a été menée sur une structure microfabriquée qui semble être idéale pour construire un ordinateur quantique. Non seulement deux particules de lumière, appelées photons, ont été emprisonnées, mais elles ont circulé dans des guides d'ondes supraconducteurs. Ces derniers jouent le même rôle que la fibre optique mais pour les photons de fréquences micro-ondes.

Nature Physics a publié en mai ces travaux du physicien Alexandre Blais et du postdoctorant Matthew Woolley, de la Faculté des sciences de l'UdeS, et de l'équipe d'Andreas Wallraff, professeur à la Swiss Federal Institute of Technology de Zurich.

Au cours de l'expérience, les chercheurs ont observé un comportement étrange: "Lorsque deux photons arrivent en même temps sur un miroir semi-transparent, précise Alexandre Blais, ils sont réfléchis, mais plutôt que de partir chacun de leur côté, ils ont tendance à rester ensemble. C'est cette étrange propriété quantique qui a été observée, dans un circuit électrique." Les physiciens concluent qu'il existe une interaction entre les photons.

"Ce succès permet d'envisager l'envoi d'informations d'un système vers un autre. Ces résultats sont importants pour le développement des ordinateurs quantiques et la communication quantique en général", souligne Alexandre Blais, professeur au Département de physique.

En principe, rien n'empêche de produire ces circuits dès maintenant. Les scientifiques pourraient alors envoyer les photons aussi loin et de façon aussi performante qu'on envoie de la lumière dans une fibre optique pour établir un lien Internet haute vitesse, par exemple. Mais ils devront franchir un obstacle majeur: pour l'instant, ces circuits quantiques fonctionnent seulement à basse, très, très basse température.


Référence:

Article dans la revue Nature Physics

mercredi, juillet 03, 2013

Prédire le QI d’un individu grâce à une tâche visuelle simple

Il est possible de prédire le quotient intellectuel d’un individu en lui faisant effectuer une tâche visuelle très simple, selon une étude menée par des neuropsychologues américains. Un résultat qui pourrait permettre de créer des tests de QI complètement indépendants de l’origine culturelle des répondants.

Prédire le quotient intellectuel d’une personne, en lui faisant effectuer un exercice visuel extrêmement simple ? C’est possible, affirment des neuropsychologues de l’Université de Rochester (États-Unis).
En effet, les neuropsychologues américains Duje Tadin et Michael Melnick ont découvert que l’aptitude d’un individu à filtrer visuellement les mouvements qui se déroulent en « toile de fond » de son champ visuel (par exemple, le paysage qui défile lors d’un voyage en voiture, ou bien durant un déplacement à pied), est fortement corrélée à son quotient intellectuel : plus la personne est capable de faire abstraction des mouvements qui se produisent en arrière-plan de son champ visuel, et plus son quotient intellectuel a de chances d’être élevé.
Un résultat important, car il suggère que la capacité de l’être humain à filtrer automatiquement les éléments visuels qui ne font pas sens pour concentrer son attention sur les quelques objets pertinents présents dans son environnement visuel, joue un rôle important dans l’émergence de l’intelligence humaine (rappelons que, s’il est certes impossible de proposer une définition unique de l’intelligence, le champs des sciences cognitives aime à définir l’intelligence comme la faculté d’un individu à résoudre les problèmes qu’il rencontre dans son environnement).
De surcroît, ce résultat laisse entrevoir la possibilité de créer une nouvelle génération de tests de quotient intellectuel, complètement affranchis des biais culturels dont les tests actuels sont susceptibles de souffrir. En effet, avec une telle méthodologie, il pourrait être possible de mettre en place des tests de quotient intellectuel ne recourant pas à l’évaluation du fameux quotient intellectuel verbal (QI verbal), très critiqué car fortement dépendant de l’origine et du niveau culturel du répondant.
Pour parvenir à ce résultat, les neuropsychologues américains ont demandé à des volontaires, dont le quotient intellectuel avait été préalablement évalué à l’aide d’un test, de visionner des vidéos dans lesquelles des barres noires et blanches se déplaçaient. Leur mission ? Dire à chaque fois quel était le sens de déplacement de ces barres.
Au terme de cette expérience, les scientifiques américains se sont aperçus que si les volontaires présentant des scores de QI élevés étaient aussi ceux qui étaient capables de déceler le plus efficacement le sens de déplacement des barres lorsque ces dernières étaient de petite taille, ils éprouvaient en revanche beaucoup plus de difficultés que les autres volontaires à définir le sens de déplacement des barres lorsque ces dernières étaient de grande taille.
Surpris par ce résultat, Duje Tadin et Michael Melnick ont reproduit l’expérience avec d’autres volontaires, auxquels ils ont fait subir un test de quotient intellectuel beaucoup plus complet que celui utilisé lors de la précédente expérience.
Or, cette nouvelle expérimentation n’a fait que renforcer les résultats obtenus lors de la première expérience. En effet, les neuropsychologues américains ont découvert que l’incapacité à détecter le mouvement des éléments visuels de très grande taille était bel et bien corrélée à un quotient intellectuel élevé, et ce avec un taux de corrélation dépassant les 71% (lors de la première expérience, le taux de corrélation constatée était de 64 %).
Ce phénomène inattendu a été interprété par les chercheurs comme l’aptitude, chez les personnes dotées de quotient intellectuel élevé, à faire abstraction des éléments visuels dénués de signification, pour se concentrer exclusivement sur les éléments pertinents de leur environnement.
Source : Michael D. Melnick, Bryan R. Harrison, Sohee Park, Loisa Bennetto, Duje Tadin. A Strong Interactive Link between Sensory Discriminations and Intelligence Current Biology, 2013.http://www.science-et-vie.com/2013/07/03/predire-le-qi-dun-individu-grace-a-une-tache-visuelle-simple/