lundi, août 04, 2008

L'antique mécanisme d'Anticythère prédisait les éclipses... et les JO - Par Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences

L'analyse de l'extraordinaire système d'engrenages, aujourd'hui daté du deuxième siècle avant Jésus-Christ, continue et nous gratifie de magnifiques surprises. En tournant, ces rouages annonçaient les éclipses mais aussi les dates des Jeux Olympiques... Les inscriptions, enfin décryptées, seraient des noms de mois d'origine corinthienne, ce qui ramène l'origine de l'invention vers l'héritage scientifique d'Archimède.


En 2006, l'équipe de chercheurs travaillant sur le mécanisme d'Anticythère, motivée et pugnace, publiait ses premiers résultats sur le fonctionnement de cet ensemble d'engrenages métalliques. Découvert au début du vingtième siècle par des pêcheurs au large de l'île grecque d'Anticythère, ce mécanisme était passablement corrodé par deux millénaires passés sous l'eau. De nombreuses études ont été consacrées à cet objet étrange, qui ont mis en évidence des inscriptions illisibles, des roues dentées puis des aiguilles et des cadrans. D'abord daté du premier siècle avant Jésus-Christ, ce mécanisme a été récemment vieilli d'un siècle, et aurait été réalisé entre -150 et -100. 

Depuis 2000, deux passionnés, Mike Edmunds (astrophysicien à l'université de Cardiff, Grande-Bretagne) et Tony Freeth (chercheur en mathématiques devenu producteur de documentaires), rejoints par d'autres scientifiques au sein d'un ambitieux programme de recherche, sont allés beaucoup plus loin. En réalisant spécialement un tomographe à rayons X de douze tonnes, ils ont pu analyser la structure du mécanisme en profondeur et réaliser sur ordinateur un modèle virtuel, capable de tourner. Deux mille ans après le naufrage qui a englouti l'original, sa copie numérique peut donc fonctionner devant les yeux des chercheurs. Qui n'en finissent pas d'être ébahis. 

Un engrenage spécial pour corriger une erreur de huit heures en 19 ans 

Dans leur publication précédente, Freeth et ses collègues démontraient que ce mécanisme indiquait les mouvements respectifs du Soleil et de la Lune dans le ciel de la Terre. Mais il restait encore des aiguilles et des roues manifestement destinées à d'autres fonctions. Peut-être la reproduction du mouvement des planètes, pensaient alors les chercheurs... 



La face avant du mécanisme reconstituée sur ordinateur.© Antikythera Mechanism Research Project


Mais la solution était ailleurs. Tout d'abord, les nouveaux travaux de l'équipe ont précisé le système de prédictions des éclipses. Le mécanisme d'Anticythère reproduit le cycle de Saros, de 223 mois lunaisons, soit un peu moins de 19 ans, qui détermine le retour d'éclipses aux mêmes périodes de l'année. La durée de ce cycle n'est cependant pas un nombre entier de jours. Il s'en faut de huit heures, si bien que la même éclipse, observée un cycle plus tard à la même heure, se trouve décalée dans le ciel d'environ 120° en longitude. Les astronomes grecs de cette époque le savaient... Selon les auteurs de l'étude, une petite roue dentée servait spécialement à effectuer cette correction. 

La nouvelle étude a révélé un autre secret : cet habile mécanisme n'avait pas qu'une fonction astronomique. C'était aussi un calendrier. L'un des grands engrenages donnait le cycle de Méton, ou cycle métonique, de 235 mois lunaires, soit, à deux heures près, 19 années solaires. Au terme de ce cycle, les lunaisons ont reviennent aux mêmes dates de l'année. Les chercheurs ont pu décrypter les inscriptions gravées et ont découvert qu'il s'agissait des noms des douze mois. En contradiction avec des études antérieures, il s'avère que leur origine est corinthienne. ces noms étaient utilisés dans les territoires du nord et de l'ouest, à Corinthe bien sûr mais aussi en Sicile, en l'occurrence à Syracuse. Or, c'est à Syracuse que vivait le grand Archimède, un siècle plus tôt certes, mais dont l'héritage scientifique a été transmis aux générations suivantes. Jusque-là, les soupçons portaient plutôt sur Hipparque, l'astronome qui vivait à Rhodes, d'où provenait le navire transportant le mécanisme avant de sombrer devant Anticythère. 

Une autre surprise attendait les hommes face au modèle virtuel du mécanisme. L'une de ses roues ne matérialise pas, comme on le pensait, le cycle calliptique de 76 ans (quatre fois le cycle de Méton). Il suivait un cycle de quatre ans, calé sur les jeux Panhelléniques et en particulier Olympiques... 

L'outil n'était donc pas destiné qu'aux astronomes mais prédisait aussi les dates de ces événements sportifs très importants de la civilisation hellénique.


mercredi, juillet 09, 2008

Courrier International - 9 juil. 2008 - ITALIE • La mozzarella n'était vraiment pas fraîche

La justice transalpine enquête sur les agissements de quelques entreprises fromagères dans plusieurs pays européens. Et ce qu'elle a découvert a de quoi inquiéter les consommateurs.
Il y avait de tout dans le fromage, avarié et pourri. Des vers, des crottes de rat, des résidus de plastique, des bouts de fer, du moisi et de l'encre. La marchandise était destinée, après retraitement, à un "usage zootechnique" [en d'autres termes, à servir d'aliments pour le bétail]. En réalité, des escrocs la recyclaient et la retravaillaient comme s'il s'agissait d'un produit de première qualité. Dans la filière de la contrefaçon, ces déchets (re)devenaient du fromage en tranches, fondu ou râpé, ou encore de la mozzarella, du gorgonzola et autres spécialités fromagères italiennes. On a même retrouvé dans des cellules frigorifiques du fromage en tranches datant de 1980 ! Le fromage était nettoyé, mélangé et apprêté pour finir sur les tables d'Italie et d'Europe. Parfois, il était revendu à ces mêmes multinationales, grandes marques et centrales laitières qui, au lieu de détruire comme elles auraient dû le faire leurs produits devenus immangeables, s'en débarrassaient – sans dépenser un centime – auprès de quatre entreprises situées à Crémone, Novare et Biella en Italie, et à Woringen en Allemagne. Toutes sont liées à un chef d'entreprise sicilien. C'est avec lui que traitaient des marques comme Galbani, Granarolo, Cadermartori, ou Brescialat ainsi que des multinationales européennes, principalement autrichiennes, allemandes et britanniques. Voilà ce que l'on peut lire dans l'ordonnance de Francesco Messina, procureur au parquet de Crémone. Une affaire portant sur plusieurs dizaines de millions d'euros. Une véritable bombe sanitaire pour les consommateurs. L'enquête – toujours en cours – a débuté il y a deux ans. En novembre 2006, les policiers de la Guardia di Finanza de Crémone ont arrêté un poids lourd à Castelleone. Une odeur nauséabonde se dégageait du véhicule. Il contenait du fromage semi-ouvré, dans un état de putréfaction avancée. Parti de la société Tradel, à Casalbuttano, le chargement était destiné à l'entreprise Megal, près de Novare, qui appartiennent toutes deux à Domenico Russo. Ce dernier est l'homme-clé autour duquel tourne toute l'enquête. Tradel rassemblait, désemballait et commençait le retraitement, tandis que Megal mélangeait et confectionnait. A Casalbuttano, les policiers trouvèrent des produits qui leur donnèrent des haut-le-cœur. L'entreprise s'était spécialisée dans le "recyclage" de mozzarella retirée du commerce et stockée pendant des semaines sur les étagères de ses fournisseurs, de croûtes de gorgonzola, de fromages en tranches fabriqués avec du beurre rance, de fromages mis au rebut après des pannes d'électricité survenues un an plus tôt. Les enquêteurs placèrent la société sur écoute et découvrirent que les pirates de la contrefaçon alimentaire étaient "couverts" par le service de prévention vétérinaire des autorités sanitaires de Crémone (surveillance négligée, inspections annoncées à l'avance, etc.). Les écoutes téléphoniques ont révélé une absence totale de scrupules. "La marchandise sur laquelle nous travaillons est, comme tu le sais, entièrement périmée...", expliquait à son patron le responsable de Tradel, Luciano Bosio. Lequel rétorquait : "Ça, c'est leur problème...", en parlant des fournisseurs. Le fromage acheté et retravaillé était ouvertement qualifié de "merde". Mais peu importe, "car si la marchandise a des défauts, après moi, j'arrange tout, je nettoie, je rafistole... Ça reste entre toi et moi", précisait encore Domenico Russo à un chef d'entreprise de Campanie à propos de fromage en tranches périmé depuis dix-huit mois. Le système de recyclage des produits se fondait sur les liens commerciaux entre les fournisseurs et Tradel. Les avantages étaient réciproques et substantiels, et le business considérable : 11 000 tonnes de marchandises recyclées en deux ans, qui ont fini dans des magasins et des supermarchés discount de toute l'Europe. Sans oublier 3 000 tonnes vendues au noir. Quant aux ouvriers et employés, le procès-verbal rapporte qu'ils étaient au courant. "Vous n'avez jamais signalé à quelqu'un que les produits étaient périmés et avaient des vers ?" a-t-on demandé à une employée administrative. Réponse : "Non, tout le monde le savait."

Paolo बेरीज्जी, La Repubblica