Il y avait de tout dans le fromage, avarié et pourri. Des vers, des crottes de rat, des résidus de plastique, des bouts de fer, du moisi et de l'encre. La marchandise était destinée, après retraitement, à un "usage zootechnique" [en d'autres termes, à servir d'aliments pour le bétail]. En réalité, des escrocs la recyclaient et la retravaillaient comme s'il s'agissait d'un produit de première qualité. Dans la filière de la contrefaçon, ces déchets (re)devenaient du fromage en tranches, fondu ou râpé, ou encore de la mozzarella, du gorgonzola et autres spécialités fromagères italiennes. On a même retrouvé dans des cellules frigorifiques du fromage en tranches datant de 1980 ! Le fromage était nettoyé, mélangé et apprêté pour finir sur les tables d'Italie et d'Europe. Parfois, il était revendu à ces mêmes multinationales, grandes marques et centrales laitières qui, au lieu de détruire comme elles auraient dû le faire leurs produits devenus immangeables, s'en débarrassaient – sans dépenser un centime – auprès de quatre entreprises situées à Crémone, Novare et Biella en Italie, et à Woringen en Allemagne. Toutes sont liées à un chef d'entreprise sicilien. C'est avec lui que traitaient des marques comme Galbani, Granarolo, Cadermartori, ou Brescialat ainsi que des multinationales européennes, principalement autrichiennes, allemandes et britanniques. Voilà ce que l'on peut lire dans l'ordonnance de Francesco Messina, procureur au parquet de Crémone. Une affaire portant sur plusieurs dizaines de millions d'euros. Une véritable bombe sanitaire pour les consommateurs. L'enquête – toujours en cours – a débuté il y a deux ans. En novembre 2006, les policiers de la Guardia di Finanza de Crémone ont arrêté un poids lourd à Castelleone. Une odeur nauséabonde se dégageait du véhicule. Il contenait du fromage semi-ouvré, dans un état de putréfaction avancée. Parti de la société Tradel, à Casalbuttano, le chargement était destiné à l'entreprise Megal, près de Novare, qui appartiennent toutes deux à Domenico Russo. Ce dernier est l'homme-clé autour duquel tourne toute l'enquête. Tradel rassemblait, désemballait et commençait le retraitement, tandis que Megal mélangeait et confectionnait. A Casalbuttano, les policiers trouvèrent des produits qui leur donnèrent des haut-le-cœur. L'entreprise s'était spécialisée dans le "recyclage" de mozzarella retirée du commerce et stockée pendant des semaines sur les étagères de ses fournisseurs, de croûtes de gorgonzola, de fromages en tranches fabriqués avec du beurre rance, de fromages mis au rebut après des pannes d'électricité survenues un an plus tôt. Les enquêteurs placèrent la société sur écoute et découvrirent que les pirates de la contrefaçon alimentaire étaient "couverts" par le service de prévention vétérinaire des autorités sanitaires de Crémone (surveillance négligée, inspections annoncées à l'avance, etc.). Les écoutes téléphoniques ont révélé une absence totale de scrupules. "La marchandise sur laquelle nous travaillons est, comme tu le sais, entièrement périmée...", expliquait à son patron le responsable de Tradel, Luciano Bosio. Lequel rétorquait : "Ça, c'est leur problème...", en parlant des fournisseurs. Le fromage acheté et retravaillé était ouvertement qualifié de "merde". Mais peu importe, "car si la marchandise a des défauts, après moi, j'arrange tout, je nettoie, je rafistole... Ça reste entre toi et moi", précisait encore Domenico Russo à un chef d'entreprise de Campanie à propos de fromage en tranches périmé depuis dix-huit mois. Le système de recyclage des produits se fondait sur les liens commerciaux entre les fournisseurs et Tradel. Les avantages étaient réciproques et substantiels, et le business considérable : 11 000 tonnes de marchandises recyclées en deux ans, qui ont fini dans des magasins et des supermarchés discount de toute l'Europe. Sans oublier 3 000 tonnes vendues au noir. Quant aux ouvriers et employés, le procès-verbal rapporte qu'ils étaient au courant. "Vous n'avez jamais signalé à quelqu'un que les produits étaient périmés et avaient des vers ?" a-t-on demandé à une employée administrative. Réponse : "Non, tout le monde le savait."
Paolo बेरीज्जी, La Repubblica