vendredi, janvier 27, 2012

La vulgarisation en retard sur la psychologie

 
 
sciencepresse.qc.ca

La vulgarisation en retard sur la psychologie

En psychologie, on appelle «biais de confirmation» cette tendance, que nous avons tous, à surtout retenir l’information qui nous fait nous sentir bien. Voilà une notion drôlement importante pour qui veut comprendre pourquoi son article préféré n’est pas lu ou son sujet préféré n’est pas re-twitté!
Pour les psychologues, ce n’est pas du neuf. Mais les théories de la communication scientifique et du journalisme tiennent très peu compte des progrès vécus depuis 20 ans par la psychologie et son compagnon des temps modernes, la neurologie.
Par exemple, un communicateur et un psychologue viennent de publier The Debunking Handbook1, un livret de 8 pages qui vise à faire comprendre aux scientifiques et aux vulgarisateurs que ce qui importe, ce n’est pas juste de s’attaquer aux fausses croyances et de démythifier (debunking). Psychologie et neurologie nous révèlent en effet que ce n’est pas ce que savent ou pensent les gens qui est important, mais comment ils le pensent (how they think). Avec quelle intensité le pensent-ils.
Ce livret explore un fait surprenant: démythifier peut parfois renforcer le mythe dans l’esprit des gens. Les communicateurs doivent être conscients des différents contre-effets, et de la façon de les éviter.
Exprimé autrement, c’est le syndrome du déficit de connaissances2: un communicateur et un scientifique font fausse route s’ils continuent de s’accrocher à la prémisse suivant laquelle le public est ignorant, et qu’il suffit donc de lui insuffler les connaissances pour que le courant passe.
Même des politologues commencent à s’intéresser à la psychologie, non pas celle des politiciens, mais la psychologie de ceux qui reçoivent le message —les électeurs, autrement dit— comme en témoigne cet article, que signalait le collègue Chris Mooney qui prépare un livre là-dessus, un article paru dans Science en 2008: « Biologie, politique et l’émergence d’une science de la nature humaine3 ».
Plus récemment, en 2010, deux autres politologues publiaient une étude intitulée «When Corrections Fail: The Persistence of Political Misperceptions4», où ils prenaient acte du fait qu’une «très vaste littérature se penche sur l’ignorance du citoyen, mais que très peu de recherches ciblent les idées fausses».
Quand même les structures du cerveau sont affectées
On pourrait alléguer que la psychologie est loin d’être une science exacte, et que les communicateurs devraient attendre avant de sauter aux conclusions, mais il se trouve que la neurologie vient appuyer tout cela d’étonnante façon. Une recherche parue en 20115 dans le Journal of Neuroscience avance que le «biais de confirmation» active, dans le cerveau, davantage d’hormones chez certains individus. Peut-être avons-nous des gènes qui prédisposent davantage certains d'entre nous à rechercher ce qui confirmera nos convictions... de la même façon que certains ont besoin de leur dose de chocolat ou de drogue.
Bref, un «high» de confirmation!
Encore une étude, dont l’un des signataires, l’Australien Stephan Lewandowsky, est co-auteur du Debunking Handbook. En 2011 dans Psychonomic Bulletin & Review6, ces experts en sciences cognitives ont proposé une méthode d’analyse du phénomène suivant: une information que j’encode dans mon cerveau comme étant vraie, même après avoir été démontrée fausse, continuera d’influencer ma mémoire et mon raisonnement.
Encore une: parue en 2011 dans Current Biology7 (et menée sur 90 étudiants), elle conclut que les structures du cerveau présenteraient des différences mesurables, suivant que la personne penche, politiquement, plus à gauche ou plus à droite.
Dans Social Neuroscience en 20098, on pointait des «zones d’activation» du cerveau différentes, suivant que la personne s’identifie à l’une des quatre idéologies9 définies par les chercheurs.
Et dès 2007, une méta-étude (une synthèse de 67 recherches parues ailleurs) dans Nature Neuroscience10 pointait des façons d’apprendre différentes entre « libéraux » et « conservateurs » américains.
Où tout cela conduit-il les communicateurs scientifiques, les journalistes, les vulgarisateurs? Eh bien si toutes ces découvertes continuent de se vérifier, c’est la façon de penser la communication scientifique «du haut vers le bas» —en bas, c’est le public— qui aura besoin d’un sérieux recalibrage —une réorientation davantage dans une perspective de dialogue que d'autorité. Sinon, avec la multiplication des sources sur Internet, nous nous condamnerons à ne parler qu’à des auditoires de plus en plus petits : uniquement les gens qui étaient déjà intéressés par le sujet, mais en plus, uniquement ceux qui pensent comme nous. Ceux et celles qui ont un cerveau avec des connexions similaires au nôtre, en quelque sorte.