lundi, février 28, 2011

Une étoile plante - L'histoire d'une revue consacrée à l'étrange qui connut ses beaux jours dans les années 60 - Par Frédérique ROUSSEL

QUOTIDIEN : Jeudi 21 septembre 2006 - 06:00
Clotilde Cornut La Revue Planète (1961-1968). Une exploration insolite de l'expérience humaine dans les années soixante L'OEil du Sphinx, 284 pp., 19 €.


Une revenante hante en cette rentrée les librairies. Sa silhouette n'a pas changé : carrée, épaisse, avec un fond noir sur le dessus qui fait ressortir une tête non humaine, une amulette macabre (clin d'oeil au symbole de l'ombre jaune de Bob Morane). Planète, disparue en 1968, ressusciterait-elle ? Vague vertige avant d'ouvrir l'objet. Il s'agit en réalité d'un essai sur cette revue qui défraya la chronique des années 60, un mémoire universitaire d'histoire contemporaine, celui de Clotilde Cornut, soutenu en 1994 sous la direction d'Etienne Fouilloux à Lyon-II. La chronique d'une aventure de quarante et un numéros, placée sous l'emblème du réalisme fantastique.
Quand elle paraît en octobre 1961, Planète ne naît pas d'une table rase. Deux ans avant l'a précédée le Matin des magiciens, de Louis Pauwels et Jacques Bergier. Les deux hommes se sont rencontrés en 1953, grâce à André Breton puis René Alleau, spécialiste de l'histoire de l'alchimie. Leur collaboration sera complémentaire et productive. Le premier est journaliste et écrivain, le second scientifique et résistant. Pour Edgar Morin ( le Monde du 3 juin 1965), «la rencontre de la frénésie imaginative de l'un, de la tension vers le mystère et l'espoir de l'autre donna cette synthèse particulière qu'est "le réalisme fantastique" ». Bergier passait chez Pauwels qui écrivait ensuite, raconte la légende. Sociétés secrètes, nazisme occulte, univers parallèles, ultra-humains... Ce livre étrange et foisonnant devient un best-seller.
Les auteurs décident de prolonger l'essai. La décision est prise dans le train Lille-Paris, entre Pauwels et François Richaudeau. A leur arrivée gare du Nord, les deux hommes avaient décidé du nom de la revue, des principales rubriques, du format, du graphisme et de l'illustration. Planète vise à offrir un panorama de toutes les expériences humaines (littérature, science, art, religion, histoire..) à travers le prisme du merveilleux et de l'insolite. C'est cette ouverture-là, sans brides, qui définit en somme le réalisme fantastique. La maquette attire l'oeil : format carré, textes sur deux colonnes, nombreuses illustrations avec toujours une représentation de visage humain sur la couverture (statue antique, masque tribal, oeuvre d'art contemporain...). Le premier numéro, 158 pages, fait un tabac inattendu. Tiré à 8000, il faudra réimprimer pour atteindre les 100 000 exemplaires vendus. Dès la deuxième année, la revue bimestrielle atteint la barre des 30 000 abonnés.
La ligne éditoriale de Planète (slogan : «Rien de ce qui est étrange ne nous est étranger !» ) est d'offrir «autre chose», de réconcilier la science et la spiritualité. Dès son premier numéro, elle se réclame de Teilhard de Chardin, qu'elle contribuera à faire connaître. De lui, elle cultive cette phrase-clé : «A l'échelle du cosmique, toute la physique moderne nous l'apprend, seul le fantastique a des chances d'être vrai.» La revue se positionne aussi contre la littérature de l'époque, le Nouveau Roman et l'existentialisme. Aucun sujet n'est tabou, aucune barrière valable, et Planète traite allègrement de science, de littérature, d'archéologie, de civilisations disparues, des mystères du monde animal, de l'érotisme, d'histoire invisible, d'ufologie, de parapsychologie... C'est un «magma», écrit Clotilde Cornut, dans ce remarquable essai assorti d'un appareillage bibliographique complet de Joseph Altairac. On lui reprochera aussi ses sujets «fantaisistes». Le lecteur peut y lire des nouvelles de Lovecraft, Borges, Bradbury ou Clarke. L'équipe elle-même, composée de figure comme Jacques Sternberg, Rémy Chauvin ou Aimé Michel, est de composition hétéroclite : «Il y a du chrétien, du panthéiste, du marxiste, du rationaliste, de l'anarchiste, un peu de tout sauf du conformiste» (1).
L'histoire de Planète est celle d'un miracle, qui a rencontré un besoin de libération de l'imagination. Celle-ci était pour Planète «une des meilleures armes pour accéder à la connaissance et au réel». La revue sombra après Mai 68, pour renaître sous la forme d'un Nouveau Planète . Mais ce n'était déjà plus pareil.


(1) «Louis Pauwels ou le malentendu», Grasset, 1989.